Louis Banga Ntolo: « Le jour où cela arrivera, toute la CEMAC sera en ébullition»

Louis Banga Ntolo: « Le jour où cela arrivera, toute la CEMAC sera en ébullition»

Dans cette interview exclusive, Louis Banga Ntolo, directeur général de la Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale (BVMAC) dévoile un ensemble d’indices qui démontre le dynamisme sous-estimé de son institution. Il évoque aussi ses ambitions, comme ouvrir des opportunités d’investissement aux petits épargnants, grâce à une combinaison de solutions digitales et de division de la valeur des actions des entreprises cotées. Il annonce également de nouvelles entreprises qui seront bientôt à la cote.

La BVMAC peine encore à attirer un grand nombre d’entreprises malgré la fusion des marchés boursiers de la CEMAC il y a quelques années. De ce fait, plusieurs personnes pensent que ça ne fonctionne pas vraiment. Vous qui êtes de l’intérieur, quels sont les indicateurs qui montrent que ce marché est en train d’avancer ?

Louis Banga Ntolo: En termes de statistiques, nous restons une petite bourse, certes, mais les choses s’accélèrent. Lors de la fusion, nous avions trois entreprises cotées sur le compartiment actions à Douala et une à Libreville. Après la fusion, le régulateur a demandé de radier une entreprise, nous laissant à trois. Aujourd’hui, nous sommes à 6, ce qui représente une progression de 100%.

« Nos cotations sont passées d’une par semaine à Libreville et trois à Douala, à des cotations quotidiennes du lundi au vendredi. »

Sur le compartiment obligataire, nous avions environ 650 milliards de FCFA de dettes cotées lors de la fusion, et aujourd’hui nous dépassons les 1300 milliards, soit un doublement. Cet encours témoigne d’une dynamique d’activité soutenue sur les deux compartiments pendant ces quatre à cinq dernières années, même si comparativement nous conservons des agrégats encore faibles par rapport au potentiel global.

La dynamique positive se manifeste également par l’augmentation du nombre de transactions. Nous avons développé un indice boursier qui fonctionne depuis fin 2023, alors qu’à la fusion, nous n’en avions pas. Nos cotations sont passées d’une par semaine à Libreville et trois à Douala, à des cotations quotidiennes du lundi au vendredi.

L’écosystème boursier s’est également renforcé : de six sociétés de bourses avant la fusion, nous sommes passés à 25 aujourd’hui. Le nombre de sociétés de gestion d’actifs est passé d’une ou deux à plus de 15.

« L’écosystème boursier s’est également renforcé : de six sociétés de bourses avant la fusion, nous sommes passés à 25 aujourd’hui. Le nombre de sociétés de gestion d’actifs est passé d’une ou deux à plus de 15. »

Nous avons aussi progressé en termes d’innovation sur les produits. La bourse n’est pas statique ni dans une torpeur comme j’ai pu le lire dans la presse. Nous sommes dans une dynamique réelle, constatée, palpable et vérifiable, même si elle ne nous permet pas encore de rivaliser avec les agrégats financiers d’autres places boursières comparables.

Des introductions en bourses sont annoncées pour très bientôt, notamment deux institutions financières : BGFI Holding dont le PDG a récemment confirmé que l’opération sera faite et Commercial Bank Cameroon qui a aussi prévu de libérer une partie de son capital sur le marché financier local. Où en est-on avec le processus et à quelle période peut-on voir aboutir ces initiatives ?

Louis Banga Ntolo: Nous saluons sincèrement l’initiative du président du conseil d’administration de la Bourse des Valeurs Mobiles d’Afrique Centrale, qui est aussi le président de BGFI Holding, d’avoir pris cette décision en tant que partenaire stratégique de la Bourse de venir avec toute la holding. La structuration de cette opération est achevée. Le régulateur a été déjà approché pour recevoir en priorité le montage de l’opération, et 2025 est l’année prévue pour sa réalisation. Nous espérons qu’elle se tiendra avant la fin du premier semestre, donc avant le mois de juin.

Cette opération sera d’une taille très importante car, selon les informations à notre disposition, elle pourrait concerner une levée de fonds entre 80 et 100 milliards de francs. Pour une introduction en bourse, c’est très sérieux. L’opération est à un stade suffisamment avancé et le régulateur est déjà informé de son évolution.

« Cette opération sera d’une taille très importante car, selon les informations à notre disposition, elle pourrait concerner une levée de fonds entre 80 et 100 milliards de francs. Pour une introduction en bourse, c’est très sérieux. »

S’agissant de l’opération de la CBC, c’est l’État qui annonce vouloir se retirer de l’actionnariat. L’État avait sauvé cette banque pendant qu’elle traversait une certaine tourmente, et elle est sortie de l’administration provisoire grâce à un très haut cadre anciennement de la COBAC qui a finalisé sa restructuration. L’État est maintenant dans une dynamique de privatisation et souhaite d’abord recruter un partenaire stratégique spécialisé dans la gestion bancaire. Un groupe de salariés s’est également constitué dans ce qu’ils appellent le Management Buy Out (MBO) et a fait une contre-proposition à l’État, qui examine actuellement toutes ces propositions.

Ce que les Cémaciens attendent, et les Camerounais en premier, c’est que ce fleuron de l’industrie bancaire puisse venir sur le marché et que les investisseurs puissent témoigner leur confiance envers cette institution et son management actuel. La réussite de cette opération pourrait confirmer que la décision de l’État de reprendre en main la gestion de ces structures a été salvatrice et n’a pas créé de risque systémique dans notre écosystème financier. Contrairement à la première opération, je ne peux pas vous donner un délai précis, mais nous espérons que ce sera cette année 2025, comme l’annonce le gouvernement.

Au-delà de ces deux opérations, je peux vous annoncer qu’un autre actionnaire et administrateur de la BVMAC, un assureur, a également annoncé son intention de faire une introduction en bourse en 2025 ou 2026, en cédant 40% de sa compagnie sur le marché régional (probablement Zenithe Assurance, NDLR).

« Je peux vous annoncer qu’un autre actionnaire et administrateur de la BVMAC, un assureur, a également annoncé son intention de faire une introduction en bourse en 2025 ou 2026, en cédant 40% de sa compagnie sur le marché régional. »

Ces signaux positifs confirment ce que nous avons dit précédemment : nous construisons de manière solide, ce qui nécessite du temps pour éviter des initiatives éphémères. Nous sommes dans une dynamique sérieuse et approfondie, nous adressons progressivement toutes les problématiques pour protéger les investisseurs et bâtir, avec l’aide des partenaires au développement, un marché financier qui respecte les standards internationaux. Cela ne nous empêche pas de continuer à examiner, avec les sociétés de bourse et la COSUMAF, les entreprises publiques qui peuvent être listées.

Est-ce qu’il est possible de savoir comment fonctionne l’infrastructure de marché qu’est la BVMAC, quel est son environnement et quels sont les éléments de contexte qui font sa singularité en comparaison à d’autres en Afrique subsaharienne ?

Louis Banga Ntolo : Quand on parle d’infrastructure, c’est une expression consacrée. Le terme désigne l’outil de cotation, un logiciel, car la mission première d’une bourse de valeurs est de coter les titres. Nous devons offrir une plateforme et des intermédiaires pour que les titres puissent s’échanger, que les acteurs puissent se connecter et réaliser leurs opérations d’achat et de vente.

« Face à ces fragilités potentielles, nous avons mis en place des mécanismes de protection. »

Actuellement, la BVMAC dispose d’un outil appelé NSC (Nouveau Système de Cotation) version 900, édité par Euronext. Euronext a fait évoluer cet outil vers une version nommée Optic, mais nous avons conservé l’ancienne version. Nous n’avons pas encore exploité cette version au dixième de sa performance. C’est une version multiplace qui aurait pu nous permettre d’aider une autre bourse, mais n’étant plus mise à jour par Euronext, nous ne pouvons plus la déployer librement. Si un problème survient sur certains mécanismes pour lesquels seul le constructeur peut intervenir, nous nous retrouvons bloqués.

Face à ces fragilités potentielles, nous avons mis en place des mécanismes de protection. D’abord, nous avons dupliqué cette infrastructure, conservée actuellement dans les locaux de la BVMAC. Dans les prochaines semaines, nous prévoyons de délocaliser une autre sauvegarde dans un site de repli à Yaoundé, afin de pouvoir redémarrer rapidement en cas d’incident majeur comme celui du World Trade Center aux États-Unis.

« Notre infrastructure a prouvé sa robustesse. À chaque réforme, elle démontre sa capacité d’adaptation. »

Notre infrastructure a prouvé sa robustesse. À chaque réforme, elle démontre sa capacité d’adaptation. Par exemple, nous n’étions pas certains qu’elle puisse calculer un indice boursier, mais le module PFI (Plateforme d’indices) 2 que nous avons activé nous a permis de le faire sans difficulté. Nous testons également sa capacité à accueillir un nombre illimité d’actions dans le processus de fractionnement, vérifiant si elle peut gérer 10 ou 15 millions d’actions, et les tests sont concluants.

Nous avons également mis en place plusieurs pare-feu pour protéger le cœur du système. Les sociétés de bourse se connectent à distance via le module PAM (Poste d’Application Marché), mais ne peuvent pas accéder au noyau du serveur NSC. Ce noyau est placé dans une « zone démilitarisée » (DMZ). Malgré l’utilisation d’antivirus relativement anciens, nous avons créé un véritable sarcophage autour de cette infrastructure pour la prémunir contre les attaques extérieures. Actuellement, notre principal risque résiderait dans la destruction du bâtiment, puisque la sauvegarde s’y trouve également, raison pour laquelle nous travaillons à son déploiement à Yaoundé.

Où en est-on avec les processus des États qui s’étaient engagés à introduire une quinzaine d’entreprises sur la Bourse. Quels sont les différents niveaux d’évolution sur ces dossiers ?

Louis Banga Ntolo : Sur ce processus, comme vous le savez, cinq des six États qui forment la communauté CEMAC ont fourni des listes. La liste fusionnée présentait 17 entreprises, dont deux sont actuellement cotées : la Banque Nationale de Guinée Équatoriale et la compagnie de réassurance gabonaise SGC-RE.

Au Cameroun, des processus sont en cours, notamment avec les ADC (Aéroports du Cameroun) qui viennent d’annoncer avoir recruté une société de bourse pour les accompagner. Cette information est assez récente. Cette entreprise avance déjà dans le processus, atteignant un stade relativement avancé. Nous espérons que les 10 mois restants de l’année 2025 seront mis à profit pour que cette opération aboutisse.

« Au Cameroun, des processus sont en cours, notamment avec les Aéroports du Cameroun qui viennent d’annoncer avoir recruté une société de bourse pour les accompagner. »

L’État du Cameroun surveille attentivement le processus coordonné pour certaines entreprises, notamment la Sodecoton, CHC (Cameroon Hotels Corporation) et le Port Autonome de Douala. Nous avons bon espoir qu’au Cameroun, une ou deux entreprises suivront, réduisant la liste à 13.

Nous sommes également informés qu’en Guinée Équatoriale, les choses progressent pour les deux entreprises restantes sur la liste. Cependant, nous n’avons pas de délai précis concernant l’introduction de la société de télécommunications ou de la société des eaux.

Concernant le Tchad, qui n’avait pas initialement fourni de liste, nous avons reçu une information encourageante indiquant que l’État tchadien envisage de privatiser deux entreprises. Nous sollicitons actuellement une audience pour discuter de l’opportunité d’intégrer ces entreprises clairement identifiées, notamment une cimenterie, dans le processus communautaire. Avec une volonté politique plus affirmée, ces entreprises pourraient être mises sur le marché plus rapidement, plutôt que de procéder à des accords de gré à gré avec des acteurs qui pourraient ne pas laisser à l’État le temps nécessaire pour examiner la structuration, l’évaluation et le processus de distribution des titres aux Tchadiens.

Globalement, nous constatons une dynamique générale au niveau de la CEMAC. Nous avons eu besoin de temps pour fusionner le marché – presque 16 ans. Nous pensons que nous ne mettrons pas autant de temps avant que la dynamique ne s’accélère. Cette dynamique connaîtra probablement un tournant dès 2026. Je suis pratiquement certain que d’importantes décisions, dont certaines que je ne peux pas encore révéler, sont actuellement en préparation et créeront une dynamique d’ensemble.

Nous devons également considérer le marché financier comme un marché de capitaux évoluant parallèlement au marché monétaire. Si nous pouvions transposer la dynamique du marché monétaire sur le marché financier, avec ses 6 000 milliards d’encours, les critiques seraient moindres. Ce sont les mêmes acteurs et émetteurs sur ces deux marchés.

« Si nous pouvions transposer la dynamique du marché monétaire sur le marché financier, avec ses 6 000 milliards d’encours, les critiques seraient moindres. »

Nous réfléchissons avec la Banque Centrale à créer des passerelles entre nos marchés, pour que la CEMAC dans son ensemble en bénéficie, au-delà des intérêts particuliers.

Nous devons mobiliser les ressources des Cémaciens et favoriser l’inclusion financière. Une épargne non bancarisée se chiffrant en milliers de milliards circule au sein de la communauté. Ce sont des défis qui peuvent dynamiser nos marchés, et nous travaillons activement dans cette direction.

Vous avez récemment évoqué le fractionnement des titres comme un levier pour rendre le marché plus accessible aux petits investisseurs. Cette suggestion répondait-elle à une vraie préoccupation du marché, c’est-à-dire un niveau élevé des cours des actions ?

Louis Banga Ntolo : Oui, le fractionnement est un levier de dynamisation des échanges sur le compartiment secondaire du marché. C’est également un levier d’inclusion financière et de promotion des outils de digitalisation.

Nous nous sommes rendu compte que le prix des actions cotées en bourse peut être très élevé, rédhibitoire pour une certaine classe de population au niveau de la CEMAC. De plus, les procédures pour acquérir des instruments financiers ne sont pas facilitées.

Le compte bancaire reste le socle des transactions – sans compte bancaire, vous ne pouvez pas acheter de titres. Or, depuis l’arrivée des opérateurs télécom, les habitudes de consommation ont évolué dans la CEMAC. De nombreuses personnes utilisent désormais leur wallet mobile comme seul compte bancaire, comme compte d’épargne et pour toutes leurs opérations financières. La réglementation sur les transactions par téléphone ne permet cependant pas d’effectuer des opérations importantes. Parallèlement, les téléphones ont un taux de pénétration très élevé avec des dizaines de millions de Cémaciens qui en possèdent.

« Un conducteur de moto-taxi devrait pouvoir être fier d’avoir contribué, même modestement, à la construction d’un nouveau pont qui lui sera utile. Mais si le ticket d’entrée est trop élevé, par exemple 5000 ou 10 000 francs, il reste exclu. »

L’objectif est d’offrir à ces personnes la possibilité d’épargner non seulement dans leur wallet mais aussi en achetant un instrument financier de manière sécurisée, et de recevoir une rémunération ou de participer à leur niveau à la construction des infrastructures des États. Le marché financier n’est pas simplement une machine à enrichir les gens. Un conducteur de moto-taxi devrait pouvoir être fier d’avoir contribué, même modestement, à la construction d’un nouveau pont qui lui sera utile. Mais si le ticket d’entrée est trop élevé, par exemple 5 000 ou 10 000 francs, il reste exclu.

Le fractionnement va permettre, en profitant des possibilités offertes par l’acte uniforme OHADA, de rendre les actions plus accessibles. Initialement, l’OHADA avait fixé le prix d’une action à 5000 francs, puis à 10 000 francs. Depuis 2014, une entreprise peut fixer la valeur nominale d’une action à n’importe quel prix. En Afrique de l’Ouest, des entreprises comme la Sonatel, qui est le moteur de la BRVM, ont une valeur nominale d’action à 100 francs CFA. Même si l’action est valorisée 5 ou 6 fois sur le marché (soit 600 francs), elle reste accessible, et l’acheteur bénéficie de tous les droits associés : droit de vote, droit au dividende proportionnel, droit à l’information financière, etc.

« En Afrique de l’Ouest, des entreprises comme la Sonatel, qui est le moteur de la BRVM, ont une valeur nominale d’action à 100 francs CFA. »

Pour mettre en œuvre ce fractionnement, les entreprises déjà cotées doivent tenir une assemblée générale extraordinaire pour modifier leurs statuts. Une entreprise dont l’action est actuellement cotée à 200 000 francs pourrait diviser ce montant par 20 pour vendre ses actions à 1 000 francs. Le jour où cela arrivera, toute la CEMAC sera en ébullition, et les milliers de milliards qui se trouvent dans les wallets pourront se déporter vers le marché.

« Le jour où cela arrivera, toute la CEMAC sera en ébullition, et les milliers de milliards qui se trouvent dans les wallets pourront se déporter vers le marché. »

Pour les nouvelles entreprises, nous demandons que leurs transactions soient structurées de sorte qu’elles vendent au moins 2 millions de titres avant d’entrer sur le marché. Cela permet aux titres d’arriver avec des valeurs accessibles entre 500 et 4000 francs.

Les entreprises s’inquiètent souvent de la gestion des assemblées générales avec potentiellement des milliers ou centaines de milliers d’actionnaires. La solution réside dans l’organisation d’assemblées en mode hybride, où les actionnaires peuvent participer via un lien digital, et les votes peuvent suivre une procédure digitale sécurisée.

Cette réforme structurante est incontournable, même si elle risque d’engendrer des débordements initiaux. Nous voulons que les sociétés de bourse, qui seront le réceptacle de nombreux ordres, puissent les traiter numériquement plutôt que par téléphone ou sur papier. Chaque investisseur pourra utiliser une application pour effectuer ses opérations, et la société de bourse pourra lui renvoyer les informations sur son compte, ses opérations, les frais débités ou les dividendes versés.

Il s’agit pour nous de la réforme majeure de 2025, une réforme que nous avons démarrée il y a près de deux ans et qui approche de sa conclusion. Nous avons identifié plusieurs acteurs qui nous accompagneront sur l’automatisation des processus, ce qui impliquera évidemment des frais, mais la simplification nécessite des moyens.

Les dernières tendances du marché montrent qu’il y a presque toujours un volume d’actions offertes beaucoup plus important que la demande. Certains experts estiment qu’au-delà du fractionnement des actions, digitaliser les transactions et les paiements peut constituer un début de solution. Partagez-vous cette appréciation des choses ?

Louis Banga Ntolo : Oui, la digitalisation est effectivement un élément de solution, comme je l’ai déjà évoqué. Il s’agit de permettre plusieurs canaux pour accéder aux instruments financiers, au-delà de la signature d’un ordre à déposer à sa banque. Les investisseurs doivent pouvoir envoyer de manière automatisée, via une application, un ordre à leurs intermédiaires. Ces derniers doivent investir dans des applications qu’ils ne peuvent pas fabriquer eux-mêmes, mais que des fournisseurs spécialisés peuvent leur procurer.

Dans la digitalisation, les gens envisagent également ce qu’on appelle la bourse en ligne. Ce processus permet à un investisseur d’effectuer ses transactions uniquement via une plateforme fournie par un intermédiaire de marché. Lorsqu’il réalise cette opération, si la bourse a mis en place un dispositif permettant aux ordres d’arriver en continu, les opérations sont exécutées aux heures d’ouverture du marché, sans nécessiter l’intervention de l’intermédiaire.

La condition pour cela est que la BVMAC devrait passer d’un mode de cotation fixe actuel à un mode en continu. Le mode en continu signifie qu’on ouvre une plage horaire pendant laquelle tous les ordres qui arrivent sont appariés automatiquement.

« La condition pour cela est que la BVMAC devrait passer d’un mode de cotation fixe actuel à un mode en continu. »

Aujourd’hui, nous collectons les ordres, arrêtons de les prendre puis nous procédons aux transactions. Il peut n’y avoir aucune transaction si le prix des ordres à l’achat et à la vente ne correspond pas, si les quantités minimales n’ont pas été atteintes, ou si le pas de cotation n’a pas été respecté. Plusieurs facteurs peuvent empêcher la correspondance des ordres, et nous pensons que le prix est souvent le premier obstacle.

Le deuxième facteur expliquant pourquoi les ordres ne correspondent pas est que les investisseurs adoptent une stratégie de marché « buy and hold » (acheter et conserver). Ils achètent des titres non pas pour les revendre, mais pour rester actionnaires d’une entreprise à long terme. Cependant, si nous mettons en place le fractionnement et que 500 titres deviennent 5000 titres, un investisseur pourrait être plus enclin à en vendre quelques-uns tout en conservant son statut d’actionnaire.

« Oui, la digitalisation est effectivement un élément de solution. »

Concernant les acheteurs potentiels, ils s’interrogent souvent sur le taux de rendement. Si le prix du titre, additionné aux commissions des intermédiaires, de la bourse et du dépositaire central, est trop élevé par rapport au dividende ou au coupon attendu, l’investissement peut sembler peu attractif. Un problème de coût nous a été signalé par plusieurs acteurs qui estiment que les frais d’intermédiation peuvent freiner certaines opérations.

Tous ces aspects doivent être examinés. Si nous procédons au fractionnement et qu’il en résulte une multitude de transactions, nous pourrons fonctionner selon le principe des économies d’échelle. Cela signifie que le profit ne vient pas d’une seule opération à prix élevé, mais de nombreuses opérations à prix réduit. Là où une opération me rapportait 10 00, il faudrait que 1000 opérations me rapportent 10. Si je suis certain d’avoir ces 1000 transactions, je peux sereinement baisser mon prix. Nous sommes conscients de tous ces aspects, car le manque de transactions nous incite tous à examiner nos prix avec une certaine frilosité, compte tenu des charges réelles qu’il faut supporter.

En tant que DG de la bourse, quels sont les objectifs qui vous ont été assignés par le conseil d’administration ? Nous sommes au 3e mois de l’année. Qu’est-ce qui est fait pour l’atteinte de ces objectifs ?

Louis Banga Ntolo : Le principal défi de la BVMAC, après la fusion, a été l’élaboration d’un business plan 2022-2026 qui constitue notre boussole. Dans le cadre du déploiement de cette feuille de route, chaque année, le conseil d’administration vote un budget et bâtit une stratégie permettant d’atteindre les objectifs ou de déployer sereinement le plan d’affaires.

Le problème majeur que nous rencontrons à la BVMAC, et que j’évoque régulièrement, est que nous avons hérité durant les 30 premiers mois de mise en œuvre de comptes assez dégradés. Nous consacrons beaucoup d’énergie à redresser la situation débitrice dont nous avons hérité. C’est comme une pierre attachée à notre talon, un fardeau que nous devons porter. L’équilibre des comptes représente donc un challenge très important.

« Le problème majeur que nous rencontrons à la BVMAC, et que j’évoque régulièrement, est que nous avons hérité durant les 30 premiers mois de mise en œuvre de comptes assez dégradés. »

Au-delà de cet objectif d’équilibrer les comptes et de générer des bénéfices pour combler le report à nouveau négatif, un autre point de préoccupation majeur concerne le recouvrement des créances. Les émetteurs étatiques réalisent des opérations sur le marché, ce qui est positif car cela soutient nos activités, mais les facturations liées à ces opérations ne sont pas toujours réglées dans les délais. Lorsque les impayés dépassent 3 milliards et s’étalent sur deux ou trois ans, cela devient préoccupant pour une entité comme la nôtre. Le Conseil d’administration m’a demandé de mettre tout en œuvre pour recouvrer ces sommes auprès des acteurs étatiques.

Sur le plan interne, l’innovation produit constitue également une priorité. Nous devons réfléchir à ce que la BVMAC peut faire elle-même, en synergie avec d’autres acteurs comme la COSUMAF, l’association des sociétés de bourse, les gestionnaires d’actifs et les SIF, pour être plus présente auprès du secteur privé. Notre objectif est que la bourse de demain soit principalement animée par le secteur privé, qui y trouverait son intérêt, car dans le monde, le marché financier est avant tout le marché du secteur privé. Un groupe de travail a été créé et nous suivons actuellement une feuille de route pour atteindre cet objectif.

Un autre axe stratégique concerne l’internalisation, plus précisément la création du dépositaire central en tant qu’entité privée. Actuellement géré par la banque centrale, ce dépositaire pourrait soutenir les activités de la BVMAC et approfondir la circulation des capitaux à l’international grâce à des accords spécifiques. La BVMAC détiendra 40% de cette entité, qui sera donc sa filiale. Si elle fonctionne correctement, ce qui est notre souhait, et qu’elle déploie ses activités conformément aux standards internationaux des dépositaires centraux, la BVMAC pourra en tirer certains avantages.

La constitution d’une équipe qualifiée est également un axe stratégique majeur. Nous nous efforçons de réaliser de bons recrutements, plusieurs directeurs ont été engagés. En tant qu’institution sous-régionale et organisation internationale, nous avons l’obligation d’assurer un équilibre régional en intégrant toutes les nationalités. Actuellement, nous avons des stagiaires de Guinée Équatoriale et, en termes de personnel permanent, des Camerounais, des Gabonais et des Tchadiens. Nous prévoyons d’étendre progressivement nos recrutements aux ressortissants du Congo, de la Centrafrique et de la Guinée Équatoriale.

Voilà donc nos grands défis : favoriser l’innovation, mener des réformes, ne pas se reposer uniquement sur les initiatives publiques, mais aussi conseiller les États sur la manière de dynamiser le marché et d’encourager l’adhésion du secteur privé. Car dans une économie de marché, sans intérêt, pas d’action. Nous réfléchissons à comment les États peuvent, par exemple via des dispositifs fiscaux ou certaines institutions, inciter le secteur privé à participer.

Nous déplorons souvent les appréhensions du secteur privé, peut-être liées aux exigences de transparence des administrations, notamment fiscales, qui l’empêchent de profiter pleinement des possibilités offertes par un marché financier. Les entreprises craignent parfois que leurs activités soient trop exposées.

« Nous déplorons souvent les appréhensions du secteur privé, peut-être liées aux exigences de transparence des administrations, notamment fiscales, qui l’empêchent de profiter pleinement des possibilités offertes par un marché financier. »

Concernant les processus industriels sensibles, le secteur privé ne devrait pas s’inquiéter car le régulateur peut exiger que ces informations soient communiquées séparément du document d’information public et les traiter de manière confidentielle.

Tout est donc mis en œuvre pour redonner progressivement au secteur privé ce marché financier, conçu pour lui permettre de ne pas dépendre exclusivement d’un seul bailleur de fonds, qu’il s’agisse d’une banque ou d’une institution de microfinance. Le secteur privé doit pouvoir expérimenter ce marché, le juger, et décider s’il souhaite s’y investir pleinement ou diversifier ses sources de financement.

Quelles mesures sont prévues pour renforcer l’éducation financière, et quel rôle la presse peut-elle jouer à cet égard ?

Louis Banga Ntolo : Concernant les mesures prévues et le rôle de la presse, je commencerai par évoquer l’action de notre régulateur. Au quatrième trimestre de 2024, nous avons observé l’organisation d’une série de webinaires couvrant l’ensemble des États de la CEMAC. Chaque État a abordé diverses thématiques à travers des discussions ouvertes. Cet exercice a permis de mobiliser efficacement différents acteurs dans le cadre de la sensibilisation.

Nous constatons également que la presse se rapproche de nous spontanément. Nous l’invitons à toutes nos activités afin qu’elle puisse comprendre comment rendre compte et valoriser nos initiatives. C’est pourquoi certains organes de presse organisent des événements comme les Capital Market Awards, une initiative dont vous avez certainement entendu parler. Plusieurs médias publient également le bulletin officiel, relaient systématiquement les informations sur l’évolution de l’indice boursier. La presse joue un rôle primordial.

« Nous constatons également que la presse se rapproche de nous spontanément. Nous l’invitons à toutes nos activités afin qu’elle puisse comprendre comment rendre compte et valoriser nos initiatives. »

La presse elle-même évolue dans sa manière d’atteindre le public en diversifiant ses canaux de diffusion. C’est une problématique similaire à celle que nous rencontrons avec les achats d’actions. Une information imprimée et distribuée dans les kiosques risque d’être déjà obsolète lorsque les lecteurs y accèdent. Les médias l’ont compris et publient désormais en ligne, en temps réel, avec des actualisations en cours de journée.

Si la presse traditionnelle continue de fonctionner, nous n’avons pas encore de médias véritablement spécialisés dans l’information boursière qui se consacreraient exclusivement à l’analyse des tendances, aux recommandations d’investissement, et qui donneraient la parole aux professionnels du secteur. Ce type de presse spécialisée se développe généralement lorsque le marché s’approfondit.

De notre côté, au-delà de fournir des informations aux médias, nous publions en ligne des statistiques de marché. Notre site internet présente l’activité et les grands agrégats des entreprises cotées, y compris leurs états financiers. Nous développons également un projet d’école de la bourse. Cette initiative proposera différentes formules, comme des tutoriels en ligne avec des questionnaires interactifs permettant aux utilisateurs de tester leurs connaissances.

Nous envisageons aussi des formations plus structurées, avec des curricula payants dispensés par des enseignants que nous recruterons dans les universités, localement et à l’international. Ces formations s’adresseront aux étudiants, aux salariés du public et du privé, mais également à certains corps de métier spécifiques comme les magistrats et les journalistes.

Pour soutenir ces initiatives, nous travaillons avec des bailleurs de fonds, notamment la Banque Africaine de Développement, qui sont prêts à nous accompagner en finançant les consultants et formateurs que nous identifierons, selon leurs propres processus de recrutement.

L’école de la bourse sera donc l’instance où les concepts techniques seront expliqués dans un langage accessible, où chacun pourra venir avec ses questions et recevoir des explications claires. Nous maintiendrons néanmoins une certaine rigueur terminologique, car il est important que nos acteurs puissent s’arrimer aux standards internationaux. L’objectif est que les participants maîtrisent les notions internationalement reconnues pour pouvoir communiquer efficacement dans ce langage, le comprendre, l’utiliser et être en mesure de l’expliquer à leur tour.

 

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