
Aluminium bas carbone : la Guinée devra verdir son énergie pour transformer sa bauxite localement
Alors que la demande mondiale d’aluminium est en pleine expansion, un nouveau critère s’impose dans la compétition internationale : l’empreinte carbone. En Guinée, deuxième producteur mondial de bauxite, l’ambition portée par le gouvernement de Mamadi Doumbouya de transformer localement ce minerai stratégique devra désormais composer avec une nouvelle exigence, celle d’une énergie propre et en grande quantité.
L’aluminium est devenu un métal incontournable dans plusieurs secteurs clés comme les énergies renouvelables, les véhicules électriques, la construction durable ou les emballages. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), la demande mondiale d’aluminium devrait augmenter de 30 % d’ici la fin de cette décennie. Dans un rapport publié début avril et portant sur les voies possibles pour atteindre la neutralité carbone dans l’industrie de l’aluminium grâce aux énergies renouvelables, l’organisation indique que le secteur est responsable d’environ 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour s’aligner sur les objectifs climatiques internationaux, les émissions devront baisser de 95 % d’ici 2050, ce qui sera possible si 90 % de l’électricité utilisée pour produire l’aluminium provient de sources renouvelables.
Vers un marché sélectif : l’essor de l’aluminium bas carbone
Le document de l’IRENA lu par Agence Ecofin met en évidence une autre évolution intéressante concernant cette fois le négoce de l’aluminium. Alors que le métal était historiquement échangé à l’échelle mondiale (LME, SHFE, NYMEX) sans prise en compte de ses caractéristiques environnementales, le rapport indique que « plusieurs plateformes d’analyse des marchés de matières premières, comme Fastmarkets et S&P, ont lancé des indices d’aluminium bas carbone, qui suivent la prime accordée aux produits bas carbone en Europe ». L’aluminium bas carbone est défini comme ayant une intensité carbone inférieure à 4 tonnes de CO₂ par tonne d’aluminium produit (scope 1 et 2).
Si les grandes entreprises et les investisseurs commencent par intégrer ce critère dans leurs décisions, une différenciation va s’opérer entre les producteurs « propres » et les autres. Cela offrirait des opportunités pour les pays capables de combiner production locale et électricité décarbonée. En effet, pour les pays qui souhaitent exporter de l’alumine ou de l’aluminium, la compétitivité pourrait ne plus dépendre uniquement de la capacité de transformation, mais aussi de l’empreinte énergétique du processus.
Une stratégie guinéenne déjà bien engagée
Depuis 2022, la Guinée a accéléré sa stratégie de remontée de la chaîne de valeur. Sous la pression du président Mamadi Doumbouya, plusieurs compagnies minières ont été contraintes de soumettre des plans de transformation locale. Cela a permis à l’Etat de conclure un accord de 4 milliards $ avec Emirates Global Aluminium pour la construction d’une raffinerie d’alumine de 1,2 million de tonnes par an. Le chinois SPIC a quant à lui lancé les travaux d’une autre raffinerie à Boffa, d’une capacité équivalente, avec un investissement de 1,03 milliard $.
Ces projets sont censés servir à mieux valoriser les exportations guinéennes de bauxite, évaluées à plus de 140 millions de tonnes en 2024, alors que le marché de l’alumine devrait atteindre une valeur de 66 milliards $ d’ici 2035 selon les estimations de Roots Analysis. Sur la bourse des métaux de Londres (LME), une tonne d’alumine se vend actuellement quatre à cinq fois plus cher qu’une tonne de bauxite.
Miser sur l’électrification verte pour rester dans la course
Selon un rapport d’Atlantic Council cité dans un précédent article d’Ecofin, la transformation de la bauxite en alumine, puis en aluminium, est particulièrement énergivore. Il faut environ 3 000 kWh pour transformer une tonne de minerai en aluminium, contre seulement 34 kWh pour l’extraire.
Or, d’après un rapport de la BAD, le taux d’accès à l’électricité en Guinée était estimé à 44,1 % au niveau national, et seulement 19,3 % en milieu rural en 2022. Cette sous-électrification structurelle limite non seulement l’accès des populations à l’énergie, mais également le potentiel industriel.
Dans ses efforts pour combler ce déficit énergétique, la Guinée compte sur plusieurs sources d’énergies renouvelables. Elle a déjà posé les bases d’un mix électrique plus vert avec les centrales hydroélectriques de Garafiri (75 MW), Kaléta (240 MW), Souapiti (450 MW), et celle en construction d’Amaria (300 MW). En septembre 2024, un projet de construction de deux centrales photovoltaïques d’une capacité totale de 50 MW, porté par la société Gigawatt Global pour un investissement de 90 millions $, a été annoncé. Avant cela, le pays avait lancé en 2021 le premier projet photovoltaïque connecté au réseau national, la centrale de Khoumagueli, d’une capacité de 40 MW.
Ces projets devront se multiplier pour assurer une alimentation à grande échelle en électricité renouvelable, condition qui pourrait dans les prochaines années être importante pour produire de l’alumine compétitive sur les marchés bas carbone. Intégrer dès maintenant la contrainte carbone dans ses projets industriels permettrait à la Guinée non seulement de sécuriser ses futures exportations, mais aussi de devenir un acteur stratégique sur le marché émergent de l’aluminium vert.