
Le marché africain des voitures électriques : une conquête chinoise par défaut
Tandis que les constructeurs occidentaux concentrent leurs efforts sur l’Asie et les marchés du Nord, la Chine gagne du terrain dans les pays émergents, y compris en Afrique. Dans un marché continental encore embryonnaire, où l’offre locale fait défaut et les politiques restent dispersées, les véhicules électriques chinois s’imposent par leur prix, leur disponibilité et l’absence d’alternative.
Selon le rapport « Global EV Outlook 2025 » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru la semaine passée, les ventes de véhicules électriques en Afrique ont plus que doublé en 2024. Si l’essor reste modeste en volume (à peine 0,1 % du marché mondial), il est largement porté par les constructeurs chinois qui captent l’essentiel de la croissance dans les économies émergentes. Sur un continent où ni les marques locales ni les grandes firmes européennes ou américaines ne déploient de stratégie cohérente, cette conquête chinoise avance par défaut.
Marginal à l’échelle mondiale, mais forte croissance locale
Dans le détail, l’AIE indique qu’environ 11 000 voitures électriques ont été vendues en Afrique en 2024. Le continent reste marginal dans la transition mondiale, qui a vu plus de 17 millions d’unités écoulées, soit plus de 20 % du total des ventes de voitures neuves. Au Maroc et en Égypte, les ventes dépassent les 2 000 unités, car le marché local profite également des efforts des constructeurs automobiles pour étendre leurs lignes de production en vue de faciliter les exportations vers l’Union européenne.
En 2024, 11 000 voitures électriques ont été vendues en Afrique. Toutefois, le continent reste marginal dans la transition mondiale, qui a enregistré plus de 17 millions d’unités écoulées.
Le rapport évoque trois autres pays africains, en l’occurrence l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et le Nigeria. En Ethiopie, les chiffres de vente sont incertains. « Les données sur le déploiement des voitures électriques en Éthiopie sont difficiles à obtenir, et les sources ne sont pas cohérentes entre elles. Le ministère des Transports de l’Éthiopie fait état d’un parc de 100 000 véhicules électriques, sans préciser combien d’entre eux sont des voitures. En revanche, EV Volumes estime à environ 1 300 le nombre de voitures électriques vendues au cours des cinq dernières années », peut-on lire dans le rapport.
Si les chiffres sur les ventes au Nigeria ne sont pas non plus clairs, le document indique que le pays envisage de renforcer ses capacités de production de véhicules électriques avec l’appui du Maroc, et « a signé en 2024 la Déclaration sur les véhicules à zéro émission, s’engageant à œuvrer pour que toutes les nouvelles ventes de voitures et d’utilitaires soient à zéro émission d’ici 2040 ».
Dans ces différents pays, si les ventes progressent tout de même, les infrastructures de recharge restent quant à elles plus rares, surtout hors des capitales, et les services d’entretien font face à des pénuries de pièces. Le marché repose par ailleurs principalement sur des véhicules importés, souvent à bas coût, dominés par des modèles chinois. Le rapport de l’AIE précise que 75 % de la croissance des ventes de véhicules électriques dans les pays émergents hors Chine provient d’importations chinoises.
75 % de la croissance des ventes de véhicules électriques dans les pays émergents hors Chine provient d’importations chinoises.
Une présence chinoise de plus en plus structurée
Si l’AIE ne cite pas spécifiquement les marques chinoises actives sur le continent, d’autres sources confirment une percée rapide des constructeurs de l’empire du Milieu dans les pays émergents et en Afrique. Au premier semestre 2024, 44 % des exportations chinoises de véhicules électriques étaient à destination des pays émergents, contre 18 % deux ans plus tôt, selon une analyse de Global Sovereign Advisory (GSA). Sur le continent africain, les exportations chinoises ont franchi les 127 millions $ au deuxième trimestre de la même année. L’Égypte est devenue la première destination des VE chinois en Afrique, suivie de l’Éthiopie, en partie via le port de Djibouti.
Une marque chinoise illustre particulièrement cette dynamique, il s’agit du constructeur BYD (principal concurrent de Tesla et 107 milliards $ de chiffre d’affaires en 2024). Le constructeur automobile s’appuie sur un partenariat avec CFAO pour distribuer ses modèles dans plusieurs pays africains. Le dernier développement date d’avril 2025 avec le lancement des véhicules 100% électriques BYD au Bénin. Avant cette étape, CFAO Mobility avait annoncé fin mars l’introduction officielle des VE de BYD sur le marché nigérian. L’entreprise met également en place dans le pays un écosystème incluant l’installation de bornes de recharge, l’entretien, les pièces détachées, et des solutions de recharge à domicile. En janvier 2025, la filiale rwandaise a inauguré sa première concession BYD à Kigali, tandis qu’en septembre 2024, sa filiale kényane avait déjà lancé les modèles BYD sur le marché local. On peut rajouter à la liste des pays comme la Côte d’Ivoire, Madagascar ou encore le Sénégal et le Zimbabwe.
Le constructeur automobile chinois BYD (principal concurrent de Tesla et 107 milliards $ de chiffre d’affaires en 2024) s’appuie sur un partenariat avec CFAO pour distribuer ses modèles dans plusieurs pays africains.
En dehors de BYD, d’autres marques chinoises comme Chery ou Geely sont également actives sur le continent, parfois via des distributeurs locaux. En Égypte, le constructeur chinois BAIC (Beijing Automotive International Corporation) a signé fin 2024 un partenariat avec la société Alkan Auto pour la construction d’une usine de véhicules électriques. Le site, qui doit être opérationnel fin 2025, vise une capacité de production initiale de 20 000 unités par an, extensible à 50 000 véhicules d’ici cinq ans, avec un taux d’intégration locale de 48 %, amené à progresser.
Selon le site Le Magazine de l’Afrique, certaines entreprises recourent aussi au « rebadging » (remarquage), qui consiste à commercialiser un véhicule existant sous une marque différente, sans modification majeure de sa conception ou de sa fabrication. Au Nigeria, apprend-on, Innoson assemble localement des modèles de Dongfeng sous sa propre marque. Au Mali, le groupe IBI Motors a présenté une citadine électrique construite en Chine sous licence Renault, commercialisée comme un produit local.
Au Nigeria, apprend-on, Innoson assemble localement des modèles de Dongfeng sous sa propre marque.
Quelle place pour l’Afrique dans la transition mondiale ?
Cette conquête par défaut du marché africain des VE par des Chinois s’explique par plusieurs facteurs. Le continent africain ne dispose pas encore d’une filière industrielle suffisamment structurée pour proposer une alternative locale crédible. Hormis quelques initiatives sur les deux-roues électriques, aucun constructeur africain n’a encore véritablement émergé sur le segment des voitures. Dans le même temps, les marques occidentales tardent à investir le marché, focalisées sur l’Europe, la Chine ou l’Asie du Sud-Est.
Hormis quelques initiatives sur les deux-roues électriques, aucun constructeur africain n’a encore véritablement émergé sur le segment des voitures.
Cette situation ouvre un espace que les constructeurs chinois, déjà bien installés dans les chaînes de valeur mondiales des batteries, des composants électroniques et de l’assemblage, occupent sans difficulté.
Les perspectives du marché africain dépendront de plusieurs variables, notamment la capacité des États à concevoir des politiques coordonnées, la mise en place d’un cadre réglementaire stable, l’émergence de projets industriels endogènes et la diffusion d’infrastructures de recharge fiables. Mais à court terme, l’Afrique devrait rester un marché de consommation passive, modelé par les décisions prises ailleurs.
Difficile, dans ce contexte, de projeter ce que pourrait représenter le continent dans les grandes trajectoires de la mobilité électrique. Le rapport de l’AIE ne fournit pas des projections spécifiques pour l’Afrique, mais il prévoit qu’en 2030, les voitures électriques représenteront plus de 40 % des ventes mondiales de voitures neuves, contre environ 25 % en 2025. Cette perspective devrait reposer largement sur l’Europe, la Chine et, dans une moindre mesure, certains pays d’Amérique latine ou d’Asie du Sud-Est.