Côte d’Ivoire : les sociétés agricoles paient peu d’impôts sur les bénéfices (Banque mondiale)

Côte d’Ivoire : les sociétés agricoles paient peu d’impôts sur les bénéfices (Banque mondiale)

Ces dernières années, la Côte d’Ivoire a renforcé ses efforts de mobilisation fiscale avec un ratio impôt/PIB atteignant désormais 14%. Pourtant, certains secteurs fortement valorisés tels que l’agriculture affichent encore des écarts fiscaux importants, selon la Banque mondiale.

En Côte d’Ivoire, l’agriculture figure, aux côtés des mines, du commerce, de la construction et des télécommunications, parmi les « secteurs sous-imposés ou présentant des niches fiscales à identifier et exploiter ». C’est ce que révèle le dernier rapport de la Banque mondiale sur la situation économique du pays, qui met en évidence un déséquilibre marqué dans la mobilisation fiscale.

S’appuyant sur les analyses microéconomiques de la cellule d’analyse de politiques économiques du CIRES (CAPEC), l’étude montre que les sociétés agricoles ne réalisent qu’un effort fiscal de 2% au titre de l’impôt sur les bénéfices par rapport à leur potentiel, impliquant un écart fiscal de 98 % (différence entre l’effort fiscal réel et le potentiel fiscal). Autrement dit, la majeure partie de la richesse créée dans ce secteur échappe à l’impôt sur les bénéfices. A titre de comparaison, l’industrie et les services atteignent respectivement 63 % et 80 % de leur potentiel fiscal. Le constat est encore plus frappant pour les produits d’exportation agricoles : seulement 1 % d’effort fiscal pour la pêche et les produits forestiers, ce qui confirme que l’agriculture d’exportation constitue une niche sous-imposée selon la Banque mondiale.

Sans établir une relation de cause à effet directe, le rapport indique que ce type d’écart fiscal peut s’expliquer par une combinaison de facteurs : régimes préférentiels et exonérations souvent accordés pour des raisons politiques ou sociales, complexité du cadre administratif, et poids de l’informalité. « Les récentes réformes de l’administration fiscale, conjuguées à une transformation économique émergente, ont permis de réduire progressivement la taille du secteur informel de près de 10 points de pourcentage du PIB depuis les années 2000, pour atteindre environ 38 % en 2020 », souligne l’étude. Mais elle ajoute aussitôt : « le secteur informel demeure prépondérant, employant plus de 80 % de la population active, et ne contribue pas encore pleinement aux recettes fiscales. Cela constitue un obstacle important à l’élargissement de l’assiette fiscale et à la productivité de l’impôt sur le revenu des sociétés ».

La fiscalité de porte, un levier non-négligeable

Cette analyse ne signifie pas pour autant que l’agriculture échappe totalement à la fiscalité. L’impôt sur les bénéfices des sociétés n’est pas le seul indicateur de l’effort fiscal du secteur. Avec un poids de 23 % dans le PIB et deux tiers des recettes d’exportation, l’agriculture ivoirienne est soumise à des régimes fiscaux complexes, qui génèrent malgré tout des revenus pour l’État, notamment via une fiscalité de porte (droits de sortie) et divers prélèvements parafiscaux.

Le cacao illustre bien ce paradoxe. Premier produit d’exportation du pays, il a généré 1,76 million de tonnes en 2023/2024, dont 974 000 exportées selon l’USDA. Rien qu’en 2023, cette filière a rapporté plus de 3,6 milliards de dollars de recettes d’exportation. Et selon l’annuaire statistique des douanes ivoiriennes pour 2024, 692 millions $ ont été collectés par l’administration fiscale au titre des droits uniques de sortie (DUS), soit l’équivalent de 19,2 % de ces recettes d’exportations. « La Côte d’Ivoire taxe en effet plus lourdement les exportations de cacao que les autres pays producteurs, avec un taux qui atteint 22 % en tenant compte de la parafiscalité en 2019 », déclarait la Banque mondiale dans son neuvième rapport sur la situation économique en Côte d’Ivoire. Ce niveau de taxation, intégralement répercuté sur les producteurs, « se traduit par une taxation d’environ 40 % du chiffre d’affaires du planteur, et probablement de plus de 50 % sur ses bénéfices, ce qui fait de « l’entreprise cacao » l’activité la plus taxée en Côte d’Ivoire ».

A ces montants s’ajoutent les revenus tirés d’autres filières d’exportation : en 2023, 59,2 millions de dollars de DUS ont été perçus sur le cajou et 37,2 millions sur le caoutchouc. La fiscalité de porte et les prélèvements parafiscaux apparaissent donc comme les principaux leviers de mobilisation des recettes dans l’agriculture, bien plus que l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Quant à la TVA, le rapport de la Banque mondiale relève un effort fiscal globalement solide : 62 % pour l’agriculture, 45 % pour les cultures vivrières et l’élevage, et 72 % pour les produits d’exportation, « bien qu’un taux de fraude de 41 % y soit observé ».

De grandes multinationales comme l’américain Cargill ou le suisse Nestlé opèrent en Côte d’Ivoire, mais la Banque mondiale ne désigne aucune entreprise en particulier comme responsable du faible rendement de l’impôt sur les sociétés dans l’agriculture d’exportation.

Cette réalité interroge néanmoins sur les choix fiscaux opérés par l’État. Entre recettes de porte importantes et faiblesse persistante de l’impôt direct, le pays semble avoir privilégié un modèle qui taxe davantage les flux commerciaux que les bénéfices nets. La question demeure : ce déséquilibre est-il subi ou voulu ? Dans un contexte où le ratio impôts/PIB plafonne à 14 %, soit 6 points en dessous de la norme communautaire de l’UEMOA, l’arbitrage fiscal opéré par la Côte d’Ivoire mérite d’être débattu.

CATEGORIES
Share This