
E-déchets en Afrique : une crise écologique qui cache des opportunités économiques (ACET)
Le développement d’Internet et la numérisation accélérée de l’Afrique ont boosté la demande en produits électroniques. Cependant, la gestion de la fin de vie de ces équipements, dont le nombre ne cesse de croître, expose davantage le continent à l’un des effets pervers de la transformation numérique : la prolifération des e-déchets. Trouver une solution pérenne à ce défi devient urgent.
L’Afrique est confrontée à un défi environnemental et sanitaire majeur : la gestion des déchets électroniques, ou e-déchets. Cette menace croissante, souvent ignorée du grand public, met en danger non seulement la santé des populations, mais aussi les écosystèmes du continent. Pourtant, bien encadrée, elle pourrait devenir une opportunité économique et industrielle majeure, indique le Centre africain pour la transformation économique (ACET), dans son étude « Towards a Circular Economy : E-waste Management in Africa » publiée en avril 2025.
Une explosion silencieuse de déchets numériques
L’institut panafricain de politique économique révèle que chaque année, l’Afrique génère environ 2,5 millions de tonnes d’e-déchets, un volume en constante augmentation. Ces déchets incluent une large gamme de produits électroniques en fin de vie : téléphones portables, ordinateurs, appareils électroménagers, batteries, câbles, etc. À cela s’ajoute une part importante d’équipements usagés importés, souvent sous couvert de réutilisation, mais qui sont en réalité des déchets déguisés. Citant les données du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ACET révèle que le Ghana reçoit environ 150 000 tonnes de déchets électroniques étrangers par an, par des moyens légaux et illégaux. En revanche, les déchets électroniques produits dans le pays ne représentaient que 52 000 tonnes en 2019, dont 93 à 97 % ont été collectés et recyclés par le secteur informel par le biais de la collecte porte-à-porte.
Les e-déchets contiennent des substances hautement toxiques comme le plomb, le mercure ou le cadmium. Leur traitement informel – par brûlage à ciel ouvert ou lixiviation acide – libère ces substances dans l’environnement, contaminant l’air, l’eau et les sols. « L’incinération des déchets électroniques libère du CO₂, du méthane (CH₄) et de l’oxyde nitreux (N₂O), qui sont tous des gaz à effet de serre puissants contribuant au réchauffement de la planète. La combustion des plastiques et des matériaux synthétiques contenus dans les déchets électroniques émet des dioxines, des furanes et d’autres polluants, contribuant ainsi à la pollution de l’air et au changement climatique. Les réfrigérateurs, climatiseurs et autres appareils de refroidissement mis au rebut dans les déchets électroniques libèrent des gaz hydrofluorocarbones, qui comptent parmi les polluants les plus puissants pour le réchauffement du climat et dont le potentiel de réchauffement global est beaucoup plus élevé que celui du CO₂ », indique l’ACET.
Les conséquences sur la santé publique sont dramatiques : maladies respiratoires, troubles neurologiques, cancers, avec une vulnérabilité accrue pour les femmes enceintes et les enfants.
Une économie informelle aussi précieuse que dangereuse
En Afrique, la gestion des déchets électroniques est largement dominée par les systèmes informels où les travailleurs démontent les appareils sans équipement de protection, s’exposant à des produits chimiques toxiques. Les coûts plus faibles et l’accessibilité des déchets sur les décharges publiques contribuent à la domination du secteur informel.
Agbogbloshie (Ghana) avant sa démolition
Malgré les risques, le secteur informel du recyclage fait vivre des dizaines de milliers de travailleurs à travers le continent. À Agbogbloshie (Ghana), jusqu’à sa démolition en 2021, plus de 6 000 personnes y travaillaient sans équipement de protection. L’Afrique du Sud compte plus de 10 000 travailleurs dans ce secteur. Loin d’être marginal, ce système parallèle assure la majeure partie de la collecte et du traitement des e-déchets, même s’il est inefficace et dangereux. Malgré la prédominance de l’informel, certains pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda et l’Égypte ont commencé à développer des systèmes de collecte formelle. L’Afrique du Sud dispose d’un système structuré avec des installations de recyclage formel et des incitations financières pour les transformateurs, bien que le secteur informel y reste dominant.
Ironie du sort, les e-déchets sont une mine d’or technologique. Or, argent, cuivre, palladium… les matériaux qu’ils contiennent sont valorisables. Au niveau mondial, en 2022, environ 28 milliards de dollars de métaux ont été transformés en matières premières secondaires sur une valeur brute globale potentielle d’environ 91 milliards de dollars, selon l’ACET. Cela signifie qu’environ 63 milliards de dollars de métaux récupérables étaient inexploités en raison de l’inefficacité des systèmes de recyclage actuels. Citant le 2024 Global e-waste Monitor, l’ACET indique que la majeure partie de la valeur potentielle des matières premières secondaires issues des déchets électroniques est concentrée dans le cuivre (19 milliards de dollars), l’or (15 milliards de dollars) et le fer (16 milliards de dollars). Les e-déchets sont en somme une nouvelle forme de mine qui ne cesse d’être alimentée par l’innovation technologique, la dépendance mondiale à l’égard de l’électronique et de la forte obsolescence des produits. Le volume d’e-déchets est en passe d’atteindre 82 millions de tonnes d’ici à 2030. Formaliser enfin le recyclage en Afrique c’est sécuriser plusieurs milliards de dollars.
Des initiatives en marche, mais insuffisantes
La gestion des déchets électroniques en Afrique est influencée par un réseau complexe de cadres réglementaires mondiaux et régionaux, la plupart du temps non respectés à cause du manque d’engagement des Etats (capacités financières et humaines), le faible niveau de sensibilisation et le manque de collaboration internationale. La Convention de Bâle est l’instrument mondial principal qui régit les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux. Elle vise à contrôler les exportations vers les pays en développement et tient les pays exportateurs responsables des mouvements illégaux. La Convention de Bamako a été spécifiquement négociée pour interdire l’importation de déchets dangereux en Afrique. Elle est considérée comme plus stricte que la Convention de Bâle dans ce contexte. Cependant, son efficacité est entravée par le manque de capacités, le faible niveau de sensibilisation et le manque de collaboration internationale. D’autres conventions internationales, comme la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants et la Convention de Minamata sur le mercure, abordent les aspects spécifiques des déchets électroniques. L’Agenda 2063 de l’Union africaine fournit également des indications pour la gestion des flux de déchets en Afrique. Cependant le niveau de recyclage demeure faible en Afrique.
Seuls 13 pays africains disposent de politiques spécifiques pour gérer les e-déchets. La mise en œuvre de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP), qui vise à rendre les producteurs responsables de la gestion de leurs produits en fin de vie, avance lentement, même si des pays comme le Ghana, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud ou le Nigeria se sont approprié cette approche. L’avenir pourrait être plus prometteur si l’Afrique parvient à développer une économie circulaire des e-déchets. Cela implique non seulement le recyclage, mais aussi le réemploi, la réparation et la remise à neuf des équipements. Pour cela, il faudrait intégrer les acteurs informels dans un modèle hybride plus sécurisé, investir dans les infrastructures de recyclage formel, renforcer les réglementations et leur application, encourager l’innovation technologique et la coopération régionale, sensibiliser le public et impliquer les producteurs dans la gestion des équipements en fin de vie.
Loin d’être un simple fardeau environnemental, les e-déchets peuvent devenir un vecteur stratégique de développement durable pour l’Afrique. À condition d’investir dans des politiques intelligentes, inclusives et innovantes, ce qui est aujourd’hui une crise environnementale pourrait devenir un levier d’industrialisation verte et de création d’emplois durables.