Economie numérique : seuls 18% des pays africains ont un cadre légal adapté (UIT)

Economie numérique : seuls 18% des pays africains ont un cadre légal adapté (UIT)

Le potentiel transformateur du numérique pour l’Afrique est désormais établi, avec des impacts tangibles sur l’économie et les sociétés. La priorité est maintenant d’accélérer les investissements stratégiques pour en tirer pleinement parti. Au-delà de l’infrastructure, un écosystème juridique adéquat est aussi indispensable.

La transformation numérique constitue une opportunité sans précédent pour l’Afrique, un levier de développement économique et social capable de réduire les inégalités structurelles. Au cœur de cette dynamique, la régulation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la gouvernance numérique apparaissent comme des piliers essentiels. Pourtant, malgré des avancées notables ces dernières années, le continent peine encore à aligner ses cadres réglementaires et politiques sur les standards mondiaux.

Depuis une quinzaine d’années, plusieurs pays africains ont entrepris des réformes significatives dans des domaines clés comme l’interconnexion, la qualité de service, le partage d’infrastructures ou encore la concurrence. En 2007, la majorité des pays du continent étaient encore classés aux premiers niveaux de maturité réglementaire (G1 et G2). La pandémie de COVID-19 a agi comme un catalyseur, mettant en lumière les lacunes existantes et poussant de nombreuses autorités à réviser leur gestion du spectre et la fiscalité des services numériques.

L’élan amorcé semble toutefois s’essouffler aujourd’hui, révèle l’Union Internationale des télécommunications (UIT) dans son rapport « Measuring digital development State of digital development and trends in the Africa region : Challenges and opportunities », daté d’avril 2025. L’organisation spécialisée des Nations unies indique que seuls 18 % des pays africains ont atteint le niveau de maturité réglementaire G4 en 2024. À titre de comparaison, 38 % de tous les pays du monde avaient atteint ce statut en 2022, bénéficiant d’un environnement plus favorable aux marchés des TIC. Cela place l’Afrique en avant-dernière position parmi les régions du monde. Une situation qui révèle une fragilité structurelle dans les capacités de régulation.

Maturité réglementaire des pays africains en 2024

 1 Digital copySource : UIT, Référence G5, gen5.digital .

L’indice de maturité de la réglementation TIC ou référentiel G5, défini par l’UIT, est constitué de 70 indicateurs axés sur quatre piliers : la gouvernance collaborative nationale, les principes de conception des politiques, les instruments de développement numérique et l’agenda politique de l’économie numérique. L’indice qui couvre 193 pays évalue chacun sur un maximum de 100 points et les classe selon quatre niveaux de maturité réglementaire. Le niveau G1 ou limité (0 à 40 points) renvoie à la plus faible réglementation, propre aux marchés de monopoles publics réglementés, avec une approche de commandement et de contrôle. Le niveau G2 ou intermédiaire (40 à 70 points) fait référence à une réforme réglementaire fondamentale, correspondant à la libéralisation partielle et la privatisation à tous les niveaux. Le niveau G3 ou avancé (70 à 85 points) indique un cadre légal propice à l’investissement, l’innovation et l’accès. Il a un double objectif : stimuler la concurrence dans la fourniture de services et de contenus, et protéger les consommateurs. Le niveau G4 ou leader (85 à 100 points) indique une régulation intégrée, guidée par des objectifs de politique économique et sociale.

Une forte croissance des pays dans la zone G3

Selon l’UIT, le continent abrite 28 pays classés parmi les moins avancés (PMA), 16 pays en développement sans littoral (PDSL), dont 13 sont aussi des PMA, et cinq petits États insulaires en développement (PEID), dont deux sont également dans la catégorie des PMA. Si certains pays comme le Rwanda, le Nigeria ou le Kenya ont atteint le niveau G4 en 2024, beaucoup d’autres peinent à dépasser les niveaux intermédiaires. Aucun PEID n’a encore atteint ce stade, bien que la majorité d’entre eux aient atteint le niveau G3. Cette progression hétérogène trahit des inégalités d’accès à l’expertise, aux financements et aux instruments de coopération régionale, pourtant essentiels pour harmoniser les réglementations et favoriser l’intégration des marchés numériques, déplore l’UIT. 82% des pays africains restent encore en dessous de 85 points, révèlent les dernières données de la plateforme gen5.digital du référentiel G5, consultée le 2 juin 2025. En 2023, aucun pays africain ne figurait dans la catégorie « Leader ».

Référentiel G5 – Moyenne régionale 2021 – 2023

1 regionSource : UIT, Référence G5, gen5.digital

Le score moyen du continent en matière de maturité réglementaire des TIC était de 43 % en 2023, soit neuf points en dessous de la moyenne mondiale. Sur les quatre indicateurs, l’Afrique affichait encore un retard marqué concernant les instruments de développement numérique, les politiques économiques numériques et les principes de conception de politiques. Le continent accusait un retard de 23 à 34 points de pourcentage par rapport aux moyennes mondiales. Le seul domaine où l’Afrique se rapprochait de la moyenne mondiale de six points est la gouvernance collaborative nationale. Cette réalité souligne la nécessité d’un renforcement global des cadres juridiques, institutionnels et politiques.

Réguler le numérique reste un défi

En 2023, l’état de préparation global des pays africains à la transformation numérique était estimé à 46 %, soit cinq points sous la moyenne mondiale. Pourtant, le continent affiche un excellent score en capacité réglementaire (71 %), presque au même niveau que l’Europe (72%) et bien au-dessus de la moyenne mondiale. Ce paradoxe révèle une capacité d’action réglementaire avérée, mais insuffisamment exploitée pour structurer les marchés numériques. Les déficits les plus criants concernent l’engagement des parties prenantes (23 %) et les instruments de régulation des marchés numériques (27 %). Ce dernier indicateur, en particulier, illustre un écart préoccupant : alors que la régulation des marchés TIC atteint 50 %, celle des marchés numériques reste très faible. L’Afrique est ainsi la région la moins bien classée pour les instruments juridiques dédiés aux marchés numériques.

Toutefois, un atout stratégique se dessine dans la coopération régionale et internationale. Avec un score de 46 %, supérieur à la moyenne mondiale, l’Afrique dispose d’un levier puissant pour accélérer l’harmonisation des politiques, renforcer la convergence réglementaire et bâtir des écosystèmes numériques transnationaux. Ce potentiel doit être exploité pour compenser les faiblesses internes et mutualiser les ressources techniques et humaines.

Prendre des mesures pour le futur

Dans le domaine de l’inclusion numérique, les pays africains – en particulier les PDSL – ont montré un engagement croissant. L’adoption de stratégies numériques nationales (57 %) et de politiques d’accès universel (86 %) est en phase avec les moyennes mondiales. Mais certaines lacunes persistent, notamment dans les politiques d’accessibilité (23 %, contre 58 % à l’échelle mondiale) et dans les stratégies pour l’inclusion des jeunes ou des femmes dans le numérique. Seuls trois pays – le Ghana, le Rwanda et l’Afrique du Sud – disposent d’une stratégie nationale pour l’emploi des jeunes dans le numérique. Le manque de politiques ciblées pour les jeunes et les groupes vulnérables compromet la promesse d’un numérique inclusif.

Instruments de la politique d’inclusion numérique dans la région Afrique, 2023

 1 universalSource : UIT

L’Afrique est également en retard sur les politiques liées aux technologies émergentes. En 2023, seulement 27 % des économies africaines disposaient de politiques d’innovation. Les stratégies pour l’intelligence artificielle, l’Internet des objets ou encore les technologies de spectre avancées sont quasi inexistantes. Les instruments de régulation expérimentale, comme les regulatory sandboxes, sont peu utilisés (23 %), bien en deçà de la moyenne mondiale (40 %). Ces lacunes freinent l’investissement et l’innovation, à un moment où les technologies émergentes pourraient transformer des secteurs clés comme l’agriculture, la finance ou l’éducation.

Environnement favorable aux technologies émergentes dans la région Afrique, 2023

 1 innovationSource : UIT

Face à ce constat, l’Afrique doit accélérer la construction de cadres réglementaires agiles, cohérents et adaptés à l’évolution rapide des technologies. Il est impératif d’investir dans les capacités institutionnelles, de renforcer la coopération régionale, et d’adopter des politiques inclusives pour que le numérique profite à tous. Les pays les moins avancés, les États sans littoral et les îles doivent être soutenus en priorité, par des financements, du transfert de compétences et des partenariats public-privé ciblés. C’est à ce prix que l’Afrique pourra transformer son potentiel numérique en prospérité partagée.

Muriel Edjo

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