
Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : l’Afrique du Sud entre rejet et adaptation
A l’approche de 2026, Pretoria multiplie les initiatives pour atténuer l’impact du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE. Entre rejet officiel, négociations pour des flexibilités et plaidoyer pour la reconnaissance de sa taxe carbone, la première économie africaine cherche à défendre ses exportations et ses emplois.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union européenne (UE) entrera pleinement en vigueur en janvier 2026. En Afrique du Sud, il cristallise les tensions entre la nécessité de protéger l’industrie locale et l’urgence d’une transition énergétique encore largement tributaire du charbon.
Les exportations sud-africaines d’acier, d’aluminium, de fer et d’engrais vers l’UE et le Royaume-Uni (où le mécanisme devrait être pleinement actif en 2027) seront directement exposées au CBAM. Selon le réseau Net Zero Tracker, plus de 500 000 emplois dépendent d’ores et déjà de marchés engagés dans l’adoption de mécanismes similaires.
Face à cette menace, le gouvernement sud-africain a choisi une double approche. Sur le plan diplomatique, Pretoria a officiellement rejeté le CBAM, qualifié par le Department of Trade, Industry and Competition (DTIC) de mesure unilatérale contraire aux règles de l’OMC et à l’esprit de l’accord de Paris. En parallèle, des discussions sont engagées avec Bruxelles pour obtenir des assouplissements comparables à ceux accordés aux États-Unis. Mahendra Shunmoogam, directeur du DTIC, plaide pour que la taxe carbone sud-africaine, bien que modeste, soit reconnue comme équivalente au mécanisme européen. Mais il reconnaît aussi le manque de capacités techniques pour appliquer les méthodologies de suivi, rapportage et vérification (MRV) qu’exige le CBAM.
Parallèlement, les acteurs industriels tirent la sonnette d’alarme. L’économiste Seitame Maimele insiste sur la nécessité d’une stratégie claire de compétitivité, alors que l’ex-ministre du Commerce Rob Davies évoque une double peine. Pour lui, le CBAM européen s’ajoute aux droits de douane américains de 50 % sur l’acier et l’aluminium. Il appelle à une politique industrielle offensive, orientée vers de nouvelles chaînes de valeur comme la production de batteries, faute de quoi l’Afrique du Sud risque de rester cantonnée à un rôle de fournisseur de matières premières.
L’Afrique du Sud est l’une des économies les plus carbonées du G20, avec près de 80 % de son électricité issue du charbon. Le CBAM agit comme un révélateur de cette dépendance, menaçant non seulement la compétitivité des exportations, mais aussi la stabilité sociale.
Entre urgence sociale et transition verte, un choix stratégique pour Pretoria
Comme le souligne le rapport « Competitive Interdependence : A New Era for Europe-Africa Industrial and Energy Cooperation », publié en septembre 2025, sans soutien technique et financier, l’Afrique risque d’être exclue des chaînes industrielles vertes mondiales. Dans ce contexte, la viabilité industrielle pour Pretoria ne peut plus reposer uniquement sur ses secteurs traditionnels. Elle passe par une diversification ambitieuse, fondée sur l’acier vert, l’hydrogène et les batteries pour véhicules électriques.
Le rapport « Carbon Competitiveness : South Africa at the Net Zero–Trade Nexus », publié en juin 2025, rappelle que 1,2 million d’emplois dépendent d’exportations vers des pays visant la neutralité carbone. L’expérience d’entreprises comme Egypt Aluminium, qui a signé un contrat solaire de 650 millions de dollars pour décarboner sa production, ou OCP au Maroc, qui renforce ses capacités solaires, montre qu’une adaptation est possible.