Pourquoi le Bénin obtient les meilleurs taux sur le marché régional

Pourquoi le Bénin obtient les meilleurs taux sur le marché régional

Petit émetteur sur le marché de l’UEMOA, le Bénin surprend en empruntant à des conditions plus favorables que la Côte d’Ivoire, émetteur de référence. Ses titres, fortement recherchés, séduisent les investisseurs. Pourquoi ?

Le jeudi 4 septembre 2025, le Bénin a levé 33 milliards FCFA (59 millions $) de bons de Trésor à 91 jours, pour un rendement de 5,06% et une demande près de trois fois supérieure à l’offre. Rare sur le marché régional, la dette béninoise profite d’une prime de confiance, au point que ses taux d’intérêt se situent régulièrement en dessous de ceux de la Côte d’Ivoire, pourtant considérée comme l’émetteur de référence. Depuis le début de l’année, chacune de ses sorties est sursouscrite, dans une Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) marquée par la hausse des coûts de financement et les pressions budgétaires. Analystes et investisseurs y voient une combinaison de discipline macroéconomique, de gestion proactive de la dette et de rareté des émissions.

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Le visuel montre qu’au 31 août 2025, les rendements des titres béninois (5,2% à 3 mois ; 6,2% à 12 mois) restent inférieurs à ceux de la Côte d’Ivoire (6,4% et 7,0%) et du Sénégal (6,7% et 6,9%).

Des fondamentaux macroéconomiques solides

Premier pays de la zone à ramener son déficit budgétaire sous le seuil communautaire de 3% du PIB dès 2024, soit un an avant l’échéance, le Bénin s’est taillé une réputation d’élève modèle. L’inflation est restée contenue à 0,5% au premier trimestre 2025, l’une des plus basses de l’UEMOA. La croissance (7,5% en 2024), tirée par les investissements publics et parapublics, se maintient à un rythme soutenu.

Seul bémol : le déficit courant, évalué à 6,8% du PIB en 2024, gonflé par les importations massives de biens et services nécessaires au développement de la Zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ). Mais ce déséquilibre est jugé temporaire par les autorités béninoises. Selon elles, il devrait s’atténuer à mesure que les usines entreront pleinement en production et que les exportations prendront le relais.

Une dette réorganisée 

Ces dernières années, Cotonou a profondément remodelé son portefeuille. Au 30 juin 2025, les trois quarts (76,2%) de la dette publique béninoise sont extérieurs, avec une maturité moyenne de 11 ans avec un taux d’intérêt pondéré de 3,1% contre 4 à 5 ans pour la dette domestique à 4,6%. Lorsqu’on leur parle des risques liés à cette exposition extérieure, les autorités béninoises ne manquent pas de s’en défendre. Selon les chiffres de la Caisse autonome de gestion de la dette (CAGD), institution en charge de la gestion de la dette, la dette est quasi intégralement à taux fixe (98,6% du portefeuille), ce qui sécurise le coût du service, et son exposition en devises est largement dominée par l’euro (58,2%), loin devant le dollar (10,2%). Pour ces encours en dollars, jugés plus volatils, le Trésor recourait à des instruments de couverture – notamment des swaps de change – afin de réduire le risque.

Pour exemple, en janvier 2025, le ministère des Finances a procédé à deux opérations : l’eurobond de 500 M$, au coupon de 8,375%, a été couvert, pour ramener son coût réel à 6,48% et la signature d’un prêt commercial de 500 millions € auprès de Deutsche Bank, garanti à hauteur de 200 millions € par la Banque mondiale et couvert en partie par l’assureur ATIDI.

Sur ce dernier prêt, 250 millions € ont servi à racheter 45% d’un eurobond émis en 2021, qui se négociait alors avec une décote de 7,4%. Selon le FMI, l’opération a généré 20 M€ d’économies immédiates et permis d’éviter 92 M€ d’intérêts futurs.

Les 250 millions € restants ont permis de rembourser par anticipation des titres domestiques arrivant à échéance entre mai et août 2025. Une façon d’éviter de devoir réémettre sur un marché régional de plus en plus cher. « Le remboursement par anticipation a redonné de la liquidité aux banques, leur permettant de repositionner leurs ressources plus tôt que prévu, dans un contexte où la demande de financement reste forte », explique Ahmet Fall, directeur des marchés de capitaux chez Impaxis Securities, une société de gestion et d’intermédiation (SGI) basée au Sénégal. « Cela a contribué à améliorer la perception des titres béninois, désormais vus comme plus sûrs et mieux gérés, mais rares », ajoute-t-il.

Le marché régional saturé, mais avide de papier béninois

Car, depuis le début de cette année, le Bénin n’a mobilisé qu’environ 250 milliards FCFA, contre près de 375 milliards remboursés, là où la Côte d’Ivoire a levé plus de 4500 milliards, et le Sénégal environ 2500 milliards, sur un marché régional qui a déjà servi près de 10 000 milliards (tous les compartiments compris).

Les rares adjudications béninoises, limitées à des tranches de 20 à 30 milliards FCFA chacune, se transforment en véritables compétitions. La demande excède systématiquement l’offre, parfois à plus de 300%, alors même que le règlement d’UMOA-Titres interdit aux émetteurs de retenir plus de 110% du montant annoncé. « Cela permet aux unités de gestion de la dette de mieux sélectionner les offres et de retenir uniquement les plus compétitives, ce qui contribue à faire baisser le coût moyen de financement », explique un spécialiste du marché.

Ce différentiel crée une prime de rareté. Résultat : les investisseurs, pour diversifier des portefeuilles saturés de titres ivoiriens et sénégalais, acceptent des conditions plus serrées pour obtenir du papier béninois.

« Cette rareté agit comme une prime implicite : elle place le Bénin dans une position de force, où ce n’est plus lui qui court après les investisseurs, mais les investisseurs qui se disputent son papier », analyse Ahmet Fall. « Les investisseurs disposent de peu de titres béninois dans leurs portefeuilles ; dès qu’une émission arrive, ils se positionnent massivement pour rééquilibrer, ce qui explique la forte demande et les conditions favorables obtenues par le Bénin », confie un asset manager béninois.

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Le long terme ou rien 

La prime de confiance accordée au Bénin ne repose pas seulement sur la rareté de ses émissions, comme le souligne Ahmet Fall. Elle s’explique aussi par les orientations des autorités béninoises dans leur gestion de la dette, approche saluée par les agences de notation. Depuis 2019, Cotonou a progressivement réduit sa dépendance aux bons du Trésor, – dettes de court terme – jugés plus coûteux, pour privilégier les obligations. L’objectif est double : réduire la pression de financement et disposer de ressources durables pour financer ses investissements. A fin juin 2025, celles-ci représentent 1404 milliards FCFA d’encours, répartis sur 72 titres, avec une maturité résiduelle moyenne de 5,4 ans et un taux de 5,5%. A l’inverse, les bons du Trésor ne pèsent plus que 28,6 milliards FCFA, avec un coût supérieur, autour de 6,6%.

Pour en arriver là, Cotonou s’est lancé dès 2021, sur le compartiment du marché régional dédié à la syndication, un mécanisme qui permet de mobiliser des montants plus importants auprès d’investisseurs ciblés avec une SGI comme chef de file (différent d’UMOA-titres). En quatre ans, près de 410 milliards FCFA ont été levés via cinq émissions, dont certaines à 15 et 20 ans. Ce choix a permis d’allonger la courbe de taux et de diversifier la base d’investisseurs. Résultat : la maturité moyenne de la dette béninoise atteint 9,7 ans et son coût moyen pondéré est tombé à 3,4% alors que la durée de vie moyenne des titres régionaux est de deux ans, le marché s’est refermé depuis 2023 sur le court terme (92 jours à trois ans). Les banques, qui représentent 90% des investisseurs, se sont concentrées sur ces échéances brèves, délaissant les maturités longues.

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Données compilées par l’auteur à partir des statistiques de la CAGD (ex-CAA) et d’UMOA-Titres. Ces tendances peuvent présenter de légers décalages, les données de la CAA s’arrêtant au 1er semestre tandis que celles d’UMOA-Titres couvrent la période jusqu’au 31 août. Ces écarts peuvent refléter des remboursements ou de nouvelles émissions intervenus entre juillet et août.

Appel du marché à renforcer la profondeur locale

Le FMI salue cette stratégie, mais appelle à la prudence. L’institution recommande de rééquilibrer progressivement vers le marché domestique, malgré des conditions plus coûteuses, afin de limiter les vulnérabilités.

Un acteur régional, travaillant pour une SGI en Côte d’Ivoire, abonde dans ce sens : « il faut plus d’opérations innovantes sur le marché local pour l’approfondir. Le cas du Sénégal, contraint de se tourner massivement vers le marché domestique, montre que si on ne prépare pas cette profondeur à l’avance, le jour où l’on en aura le plus besoin, il pourrait ne pas y avoir de répondant ».

Car la position avantageuse du pays sur le marché régional ne doit pas masquer un élément structurel : si Cotonou peut se montrer aussi sélectif dans ses émissions et se tourner vers les marchés internationaux, c’est aussi grâce à son appartenance à l’UEMOA et à la mutualisation des réserves de change. Sans cet ancrage, l’accès aux financements extérieurs de marché aurait été bien plus limité. Les ventes de cacao ivoirien, de pétrole sénégalais, d’or burkinabè et malien ou encore de coton béninois participent à cette solidité collective, qui garantit au Bénin la confiance des investisseurs, au-delà de ses fondamentaux.

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