Pourquoi le marché unique du transport aérien africain piétine

Pourquoi le marché unique du transport aérien africain piétine

Officiellement lancée en 2018, l’initiative d’un « Ciel unique » dans le transport aérien en Afrique constitue l’un des projets phare de l’agenda 2063 de l’UA. Mais depuis son annonce, le projet reste à l’étape embryonnaire, étouffé par plusieurs obstacles dont certains sont politiques.

L’une des principales raisons retardant la mise en œuvre du Marché unique du transport aérien africain (SAATM) est un manque de « volonté politique » affirme Abderahmane Berthé, secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA). Dans une interview récemment accordée à l’Agence Ecofin, ce responsable de la faîtière des compagnies aériennes du continent pointe du doigt la réticence de certains États à ouvrir leur espace aérien pour des motifs de souveraineté.

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Un facteur dont l’un des principaux symboles est la représentation par une compagnie nationale. « Parfois, au moment de signer, certains États n’ont pas bien mesuré toutes les implications. Une fois de retour chez eux, des considérations protectionnistes refont surface. Ils se disent : si j’ouvre mon ciel, je mets en péril ma compagnie nationale. Pour beaucoup de gouvernements, posséder une compagnie aérienne nationale est un symbole de souveraineté. Même si l’État n’a pas les moyens de la financer correctement, il préfère la maintenir coûte que coûte. Or, la libéralisation expose ces compagnies à la concurrence, et donc à des risques de disparition » explique-t-il.

Cet état de choses accentue selon lui la fragmentation du ciel africain, alors que dans les autres régions du monde, l’heure est à la mutualisation des compagnies avec des accords de fusion et des alliances entre grands groupes.

Outre le risque de prédominance des compagnies majeures, les risques de sécurité constituent un autre motif d’inquiétude pour certains pays situés dans des régions à stabilité fragile, comme la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Érythrée, Somalie, Soudan, etc.).

Un manque d’engagement parfois motivé

Le défaut d’engagement s’observe aussi à travers le nombre encore insuffisant d’États signataires de l’accord. 37 pays africains font à ce jour partie de la convention, et seuls quelques-uns ont pris des mesures concrètes pour l’appliquer. Une mise en œuvre plus efficace de l’initiative nécessite pourtant l’aval de l’ensemble des 54 pays du continent. En cas d’itinéraire nécessitant le survol d’un État non signataire, le transporteur se voit en effet contraint d’opérer un détour, ce qui rallonge le trajet avec des implications sur les coûts.

De même, le manque d’engagement des gouvernants est encouragé par des accords aériens bilatéraux ou multilatéraux dans le cadre de regroupements régionaux. Ces accords peuvent engendrer des conflits d’intérêts avec certaines institutions communautaires comme la CEDEAO ou la SADC, qui ont leurs propres clauses aériennes parfois incompatibles avec le SAATM. Ils maintiennent des pratiques telles que les limitations de fréquences, le refus de droits de trafic, les taxes dissuasives, etc.

Au-delà du protectionnisme, des défis endogènes

Outre les considérations politiques et économiques, la mise en œuvre du Marché unique du transport aérien africain se heurte à des obstacles comme le retard infrastructurel. Plusieurs aéroports du continent ne sont pas conformes aux normes internationales, avec des infrastructures obsolètes ou de faible qualité/capacité.

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Cet état de choses est confirmé par plusieurs rapports de l’IATA qui, dans le cadre de l’initiative Focus Africa visant à contribuer au développement de l’aviation civile continentale, a identifié les infrastructures comme l’un des six principaux défis que doit relever l’Afrique dans ce secteur.

La faible connectivité intra-africaine constitue une autre limite structurelle. Aujourd’hui, il est souvent plus facile et parfois moins coûteux de voyager entre deux capitales africaines en transitant par l’Europe que par un vol direct. Lors de son Assemblée générale tenue début juin en Inde, l’IATA a indiqué que les liaisons intra-africaines représentent à peine 20% des vols, ce qui constitue un véritable frein pour l’intégration continentale.

Autre maillon faible, la compétitivité des compagnies aériennes africaines. Plus de 75% des passagers internationaux sur le continent ont recours à des transporteurs étrangers d’après l’IATA. Beaucoup de transporteurs locaux souffrent en effet d’une gestion inefficace, d’un taux d’endettement élevé ou d’un parc aérien inadapté (faible quantité, vétusté, etc.), ce qui limite leur attractivité et leur capacité à résister à la concurrence d’acteurs étrangers bien mieux équipés.

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À cela il faut ajouter des taxes et redevances particulièrement élevées encourues par les compagnies dans les aéroports, et répercutées sur les billets des voyageurs.

Quelles pistes de solution envisager ?

Face à ces obstacles, plusieurs experts et organisations faitières telles que l’IATA, l’OACI ou encore l’AFRAA proposent une série de solutions. Elles appellent notamment les gouvernements africains à un engagement plus fort pour réduire les pratiques protectionnistes contre-productives. Certaines de leurs recommandations se heurtent toutefois à l’absence de cadres réglementaires adaptés, compliquant leur mise en œuvre.

L’AFRAA par exemple recommande une rationalisation du paysage aérien africain en s’inspirant du modèle d’Ethiopian Airlines. Ce modèle repose sur une compagnie mère entourée de filiales régionales, intégrées dans un réseau coordonné. À terme, cette approche permettrait de disposer de 5 ou 6 compagnies d’envergure continentale, capables de concurrencer les grands transporteurs internationaux.

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Cette transformation impliquerait néanmoins la fusion de plusieurs compagnies, un chantier complexe sur un continent où il n’existe pas encore de cadre réglementaire unifié comme en Union européenne. L’AFRAA suggère aussi de s’inspirer des initiatives en cours dans l’espace CEDEAO pour remédier à la cherté des billets, telles que la réduction de 25% des redevances de sécurité et la suppression de certaines taxes prévue à partir du 1er janvier 2026.

L’OACI appelle de son côté à aller au-delà de la simple ouverture de l’espace aérien. Elle recommande la levée progressive des barrières à l’immigration, afin de faciliter les escales des passagers dans tous les pays du continent. Ses propositions incluent également l’allègement des contraintes relatives aux droits de trafic, à la fréquence des dessertes et à la fixation des tarifs.

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