
Tarifs Trump : le vrai danger pour l’Afrique viendra de la volatilité des prix des matières premières (Ferdi)
Le continent n’est pas globalement très dépendant au marché américain, mais sa forte exposition aux matières premières rend plus de la moitié de ses économies extrêmement vulnérables à d’éventuels chocs sur les prix découlant d’une forte baisse de la demande émanant de la Chine.
Alors que leur exposition directe aux impacts négatifs des nouveaux tarifs douaniers américains sera limitée, les économies africaines pourraient être confrontées à de sérieux risques provenant de la volatilité des prix des matières premières dans un contexte d’intensification de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, selon un rapport publié le 3 mardi juin 2025 par la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi).
Intitulé « Impact de la politique commerciale américaine sur les économies africaines », le rapport rappelle que l’administration Trump avait imposé le 8 avril dernier aux pays africains des droits de douane élevés, allant de 10% à 50% (pour le Lesotho) sous le scénario de tarifs douaniers réciproques. Le 9 avril, elle a annoncé la mise en veilleuse de ce scénario et l’adoption d’un tarif universel de 10% pour tous les exportateurs vers les Etats-Unis.
L’augmentation de ces barrières tarifaires pour les exportations africaines est d’une ampleur inédite, même si les exportations de combustibles et minerais seront exemptées des nouveaux tarifs. Cela est d’autant plus vrai que 34 pays du continent profitent jusque-là d’un accès privilégié (zéro tarif sur un grand nombre de biens) au marché américain grâce à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), un régime de préférences commerciales accordé depuis l’an 2000 par les Etats-Unis aux pays d’Afrique subsaharienne, et que 35 pays profitaient du système généralisé de préférences (SGP US), résultant en un tarif douanier moyen de 1,3% pour les exportations africaines
La hausse des droits de douane dans les deux scénarios envisagés (tarif universel et tarifs réciproques) aura cependant un impact direct minime sur la plupart des pays africains. Le marché américain n’absorbe que 6% des exportations du continent, et pour 25 pays, la part du marché américain dans les exportations totales est inférieure à 2%.
De plus, 32 pays représentent moins de 4% des exportations totales vers les USA. Les principaux exportateurs vers ce marché étaient l’Afrique du Sud (14 milliards de dollars), le Nigeria (5,7 milliards), le Ghana (1,7 milliard), l’Angola (1,2 milliard) et la Côte d’Ivoire (948 millions).
Si l’on prend en considération à la fois le changement de tarif et la dépendance au marché américain, dix pays seulement sont considérés comme vulnérables au nouveau régime tarifaire de l’administration Trump : le Lesotho, Maurice, Madagascar, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Liberia, l’Ethiopie, le Malawi, l’Afrique du Sud et le Sénégal.
A l’inverse, les principaux exportateurs de pétrole, de gaz et de produits miniers ne seront pas très affectés. Il s’agit, entre autres, de l’Angola, de l’Algérie, de la Libye, du Tchad, de la République démocratique du Congo et du Ghana.
Baisse des recettes des exportations et hausse des taux d’emprunt
Le rapport note également que sur les 45 pays d’Afrique subsaharienne qui ont bénéficié du programme AGOA depuis l’an 2000, 34 y étaient encore éligibles en 2024 et que les pays bénéficiaires ont globalement peu utilisé ce régime, malgré le nombre élevé de produits couverts.
Les pays africains peuvent par ailleurs trouver des alternatives au marché américain pour certains métaux, les textiles et des produits alimentaires en formant de nouvelles alliances et en approfondissant les échanges commerciaux déjà établis avec l’Union européenne (UE) et avec d’autres pays tels que la Chine, l’Inde et les Emirats arabes unis.
Globalement, l’effet négatif de la nouvelle politique commerciale américaine sur l’Afrique pourrait cependant découler du ralentissement de la demande des matières premières africaines par la Chine, qui est le premier partenaire commercial du continent et le plus grand marché pour ce genre de produits. Une escalade tarifaire entre Washington et Pékin aura pour effet de ralentir l’économie chinoise, ce qui réduira ses importations de matières premières et fera pression à la baisse sur les cours. Les cours du pétrole et des métaux industriels (comme le cuivre) avaient déjà reculé lors des précédents pics de tensions commerciales enregistrés en 2018 et en 2019.
Avant le début de la guerre commerciale, le ralentissement de la croissance économique et l’offre abondante de pétrole depuis 2024 avait déjà provoqué une chute des prix mondiaux des matières premières, qui devrait se poursuivre. La Banque mondiale anticipe d’ailleurs un recul des cours des produits de base de 12% en 2025, puis de 5% en 2026. Et les prix risquent de baisser davantage si les tensions commerciales s’intensifient ou si les incertitudes s’aggravent. Cela affecterait négativement les recettes d’exportations de nombreux pays du continent.
Plus de la moitié des pays africains dépendent, en effet, des hydrocarbures, minerais ou métaux pour au moins 60% de leurs recettes d’exportations.
Sur un autre plan, des chaînes d’approvisionnement mondiales moins fluides peuvent entraîner des retards d’expédition et des coûts accrus, pénalisant les exportateurs africains de matières premières et ajoutant de la volatilité aux prix sur les marchés internationaux.
Et last but not least, la baisse des cours des matières premières dans un contexte d’intensification des tensions commerciales risque d’aggraver la hausse des coûts d’emprunt et de rendre plus difficile l’accès aux marchés financiers internationaux pour les pays africains en accentuant l’aversion des investisseurs pour le risque.