
Tensions Iran-Israël : une alerte à surveiller sur les prix de l’essence au Cameroun
Au septième jour d’une escalade militaire dans le golfe arabo-persique, suite à des bombardements d’Israël et des ripostes de l’Iran, les marchés pétroliers mondiaux sont en alerte, plaçant le Cameroun dans une position à surveiller entre opportunités et vulnérabilités.
Les prix du pétrole ont bondi de plus de 4 % mardi 17 juin 2025, propulsant le Brent (pétrole de référence) à 76,45 $ le baril. Les analystes évoquent une prime de sécurité pouvant atteindre 10 dollars supplémentaires.
Cette progression des prix intervient alors que ce conflit à l’issue incertaine vient atteindre sa première semaine. Il se déroule sur l’une des routes maritimes les plus importantes, le détroit d’Ormuz, qui concentre entre 20 % et 30 % des acheminements de pétrole dans le monde.
Facteur extérieur à surveiller
Pour le Cameroun, cette escalade géopolitique constitue un nouveau facteur extérieur que les autorités devront surveiller. Le pays est producteur de pétrole brut, avec un volume en baisse, officiellement déclaré autour de 72 000 barils par jour. Il est aussi importateur net de produits raffinés depuis l’arrêt de sa raffinerie en 2019. Comme c’est le cas pour les chocs mondiaux précédents, il se trouve confronté à un double effet contradictoire si les hausses des prix internationaux se poursuivent et se maintiennent.
D’un côté, l’augmentation des cours profite directement aux recettes d’exportation du pétrole brut camerounais, commercialisé par la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) avec des décotes de 30 à 50 % par rapport au Brent. Une hausse de 10 dollars du baril représenterait ainsi une manne supplémentaire d’environ 5 à 7 dollars par baril exporté, soit plusieurs millions de dollars de recettes additionnelles pour le Trésor public. De l’autre, cette même hausse est susceptible d’alourdir la facture des importations de produits pétroliers raffinés, alors que, comme le montrent les données de consommation de 2024, la tendance est à la hausse.
Au niveau actuel des informations disponibles, les perspectives des grands groupes d’analystes financiers pour 2025 dessinent un environnement particulièrement incertain. JP Morgan a jusqu’ici adopté la position la plus pessimiste, et prévoyait un Brent à 66 $ en 2025 et 58 $ en 2026, tandis que Goldman Sachs, l’autre grande banque américaine d’investissement, maintenait une fourchette plus élevée de 70 $ à 85 $, avec une moyenne de 76 %. S&P Global souligne quant à lui l’impact croissant de l’intelligence artificielle sur la demande énergétique et les incertitudes liées aux politiques de l’administration Trump. Ces divergences reflètent la complexité d’un marché où les facteurs géopolitiques prennent le pas sur les fondamentaux économiques traditionnels.
L’escalade actuelle au Moyen-Orient amplifie ces incertitudes. Les analystes de Price Futures Group comparent déjà la situation au conflit ukrainien, évoquant un enlisement potentiel qui maintiendrait durablement les prix à des niveaux élevés. Le risque de fermeture du détroit d’Ormuz, par lequel transite une part importante du pétrole mondial, plane comme un risque permanent surveillé par les spéculateurs sur les marchés, même si les experts estiment ce scénario peu probable compte tenu des intérêts économiques en jeu.
Chaînes de transmission
» Pour l’économie camerounaise, les chaînes de transmission de ces chocs pétroliers suivent très souvent un calendrier précis identifié par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) dans une étude de 2015, mais qui n’a pas encore été mise à jour. »
Selon cette dernière, l’impact sur les finances publiques se manifeste immédiatement, dans les trois premiers mois, à travers les variations des recettes d’exportation. Les ajustements sectoriels, notamment dans l’industrie pétrolière et les services connexes, interviennent entre 3 et 12 mois. Enfin, les effets inflationnistes complets ne se déploient qu’après 25 mois, délai qui offre aux autorités une fenêtre d’action pour atténuer les répercussions sur les consommateurs.
Cette temporalité particulière s’explique par la structure relativement diversifiée de l’économie camerounaise, qui contraste avec ses voisins de la Cemac plus dépendants des hydrocarbures. Cependant, avec 41 % de ses exportations liées au pétrole, le pays reste vulnérable aux chocs externes, d’autant que l’absence de mécanismes sophistiqués de lissage budgétaire amplifie la volatilité des finances publiques.
L’émergence récente du partenariat avec la raffinerie Dangote au Nigeria, matérialisé par une première importation de 60 000 tonnes en décembre 2024, offre une perspective d’atténuation partielle de cette vulnérabilité. Cette diversification des sources d’approvisionnement pourrait réduire les coûts d’importation (réduction du facteur transport et prix compétitif de Dangote) et limiter l’exposition aux fluctuations des marges de raffinage internationales, tout en renforçant l’intégration énergétique régionale.
Dilemme
Sur le moyen terme, le dilemme pour les autorités camerounaises sera, le cas échéant, de savoir s’il faut revenir à la politique de subventions massives aux carburants pour protéger un prix de l’essence que les consommateurs jugent déjà trop élevé, ou répercuter les éventuelles hausses sur les prix domestiques. Ce choix comporte le risque de déclencher des tensions sociales dans un contexte économique déjà fragile et dans le sillage d’une élection présidentielle complexe.
La question est cruciale d’autant que la diversification de l’économie locale reste à construire. Un marché mondial du cacao favorable a produit des effets positifs sur les recettes d’exportation, mais le pétrole continue de constituer 41 % des revenus en devises du pays.
Les investissements sur des voies de diversification, comme celles connectant les zones de fortes productions agricoles du Nord-Ouest, sont fragilisés par une instabilité maîtrisée mais latente. Enfin, la capacité des politiques publiques continue d’être plombée par des remboursements de dette, ayant été utilisée dans des projets économiques dont la rentabilité est encore en cours de construction.